Je n’ai jamais reçu de formation à l’enseignement. Je sais que, parmi mes lecteurs, il y a des spécialistes. J’espère ne pas dire de bêtises
mais si je le fais, qu’ils n’hésitent pas à les relever et à me corriger. Avec douceur, si possible…
À différentes reprises, dans ma vie professionnelle, j’ai été amené à transmettre un savoir, avec des résultats contrastés en raison de mes carences éducatives.
Dans un article récent, je vous ai dit quelques mots de mon expérience à l’école Saint-Nicolas. Plus tard, je me suis intéressé au métier d’enquêteur de sondages que j’ai exercé et dont j’ai
essayé d’expliquer la pratique à de très nombreux postulants.
Méconnaissant les règles d’un enseignement efficace, je m’étais fixé les miennes : m’exprimer clairement, sans hésitation, bannir les euh ! …, choisir des mots compréhensibles par tous, éliminer
les tics de langage qu’ils soient à la mode ou non comme : eh bien… n’est-ce pas, effectivement et autres si vous voulez, répétés tous les trois mots, éviter les redites.
Sur ce dernier point, au moins, j’étais complètement à côté. L’enseignement est une longue patience, il ne faut pas craindre de répéter inlassablement. Les enquêteurs que je formais ne tardèrent
pas à me le démontrer. Expliquer comment un travail doit être réalisé est insuffisant. Il faut, ensuite, le démontrer sur le terrain puis reprendre les explications. Si on se limite à la phase
préliminaire, aussi longue soit-elle, la plupart des auditeurs n’en conserve que très peu de souvenirs.
Je suis intervenu, également, auprès d’autres publics comme dans un stage de trois mois pour des ‘’Créateurs d’Entreprises’’. Ma mission : comment réaliser leur propre étude de marché avant de
fixer leur choix sur l’implantation de leur future société, comment estimer sa zone de chalandise, quelles personnes interroger, quelles questions poser, comment les formuler…
À l’issue de ce stage, il fallait procéder à une ‘’évaluation’’. Les participants devaient répondre à un questionnaire que j’avais élaboré et portant sur les sujets que j’avais évoqués.
Résultats décevants, beaucoup, parmi les stagiaires, n’avaient retenu qu’une partie de mon enseignement. J’en déduisis que j’aurais dû me limiter à l’essentiel et le répéter au fil de mes
interventions.
Je dispensais mes cours surtout dans des Écoles de Commerce. J’expliquais les différentes formes d’études de marché, leurs objectifs. À cette occasion, j’appris aussi la difficulté de s’exprimer
dans le calme sur un sujet qui n’intéresse pas ses interlocuteurs.
C’était dans l’une des plus prestigieuses écoles de commerce parisiennes. Je savais que la plupart des étudiants présents n’avaient pas pour ambition de faire carrière dans les études de marché
mais j’avais une marotte, la qualité. Je leur expliquai l’intérêt, pour un donneur d’ordre, ce que, pour la plupart, ils deviendraient, de s’impliquer dans la réalisation du travail confié, d’en
contrôler la bonne exécution. J’exposai comment les trop rares clients des instituts de sondages s’intéressant à la réalisation de leurs commandes pouvaient obtenir des résultats beaucoup plus
fiables que ceux qui se désintéressaient de cette ‘’cuisine’’. Je leur dis qu’étant, moi-même, responsable d’un réseau d’enquêteurs, je déplorais le manque d’intérêt de la plupart des clients
pour la façon dont on honorait leurs commandes. Seuls ceux, très rares, qui s’impliquaient dans cette réalisation permettaient de justifier les budgets consacrés à la formation et au contrôle du
travail. Ils étaient beaucoup mieux servis que les autres. C’est pourquoi je ne voulais pas me limiter à l’exposé classique sur les différents types d’études de marché, leurs buts mais aussi
comment elles devaient être réalisées et contrôlées.
Après ce préambule, j’entrais dans le vif du sujet. Au bout d’un moment, plusieurs des étudiants présents se mirent à discuter entre eux à mi-voix, me signifiant par-là que mes propos ne les
concernaient pas et qu’ils ne s’y intéressaient pas.
Depuis le vestibule contigu à l’amphi, le Directeur de l’école avait tout entendu. Il était furieux. ‘’Comment des étudiants de ce niveau peuvent-ils être aussi immatures ?’’ Me dit-il après le
cours.
Immatures ? Je crois que, sur ce plan, ils le sont restés même si, aujourd’hui, ils approchent de la quarantaine. Ils avaient un plan de carrière simple : devenir très rapidement directeur dans
la boîte qui les embaucherait et finir pédégé d’une Entreprise du CAC 40.
Pour ce faire, un seul objectif : le profit et, surtout, ne pas s’embarrasser de fioritures genre recherche de qualité qui ne pouvait que le réduire. Si, dans leur futur emploi de directeur, ils
s’y voyaient déjà, et par suite d’une étude de marché bâclée, un chef de produit prenait une mauvaise décision, ils le mettraient à la porte et le remplaceraient par un jeune beaucoup moins
coûteux pour la Société.
Il était donc parfaitement inutile de s’intéresser à la qualité du travail de ce genre de fournisseur et, sans doute, celle de beaucoup d’autres.
Si, dans un conseil d’administration, un actionnaire naïf - deux termes antinomiques, un oxymore ! ça n’existe pas ! - mais j’imagine qu’un administrateur extraterrestre, c’est tout aussi
crédible, demande au pédégé s’il s’est penché sur la qualité des produits fabriqués par l’Entreprise. Il provoquerait l’hilarité générale ! Dans ce genre de réunion, on parle gros sous et jamais
de rien d’autre.
Qu’il s’agisse de services ou de produits manufacturés, l’essentiel est un aspect soigné dissimulant les erreurs et négligences de fabrication. Celles-ci rendant l’article destiné au grand public
rapidement inutilisable mais, de préférence, après la période de garantie afin de contraindre son propriétaire à un nouvel achat ce qui est tout bénéfice pour le fabricant.
Naguère, certaines Sociétés basaient leur notoriété sur la qualité de leurs produits. Elles ont toutes disparu, elles n’étaient pas concurrentielles.
Pour les étudiants de haut niveau d’aujourd’hui, cette façon d’envisager une carrière professionnelle - exclusivement tournée vers la recherche du profit maximum - est de plus en plus répandue.
Une évolution irrémédiable de notre Société ?
à Mademoiselle F. de C.