Jeune homme, j’ai été employé par l’École Saint-Nicolas d’Issy-les-Moulineaux.
Gérée par des ‘’Frères’’, elle était réputée pour la rigueur de sa discipline.
Les élèves, tous pensionnaires, avaient deux origines. Une minorité était issue de parents cathos qui voulaient une éducation religieuse pour leur fils. Les autres étaient, pour la plupart, en situation d’échec scolaire. Ils avaient été renvoyés de tous les autres établissements d’Ile de France et leurs parents les avaient placés là en désespoir de cause.
Il y avait des cancres patentés, des attardés, des demeurés, des inadaptés scolaires.
Parmi ces derniers, peut-être quelques surdoués mais l’époque ne s’intéressait pas à ce type d’individus, n’essayait pas de les détecter encore moins de leur offrir une aide psychologique ou une scolarité adaptée.
Officiellement, j’avais été embauché comme surveillant, officieusement, outre les fonctions de surveillance, j’assurais les cours de français, d’histoire et de géographie pour une classe de septième.
Il y avait quatre septièmes, la septième D rassemblait des enfants de neuf à dix ans, l’âge normal. En septième C, ils avaient onze ans. En septième B 12 ans et en septième A 13 ans et plus.
Mes élèves avaient douze ans, un collègue leur enseignait les mathématiques et les sciences naturelles.
La qualité de l’enseignement dispensé ne faisait pas partie des préoccupations premières de nos employeurs.
Je me souviens qu’un jour, pendant une récréation, je remontais le couloir vitré qui longeait les salles de classe. Dans l’une d’elle, je vis un collègue chargé de l’enseignement du français en huitième. Il venait d’écrire cette phrase sur le tableau noir : ‘’L’élève tombe le crayon’’. J’entrais dans sa classe : ‘’ Pourquoi as-tu écris ça ? ‘’ Réponse : ‘’ Je prépare mon cours sur le complément d’objet direct…’’. Je crois qu’il n’a pas bien compris mon explication sur l’intransitivité du verbe tomber. Remarquez, aujourd’hui, on dit bien ’’tomber la chemise’’ alors pourquoi pas le crayon ! L’auteur de cette phrase innovante était sûrement un précurseur dans le domaine de la linguistique…
Mes cinquante-deux élèves n’étaient pas non plus motivés par l’acquisition de connaissances. Leur objectif principal : pourrir au maximum la vie de leur prof. Sur une heure d’enseignement, il fallait en consacrer les trois-quarts à la discipline
Outre les heures de cours que, mon collègue et moi, devions assurer tout au long de l’année scolaire, nous nous partagions la surveillance de nos élèves, 24 heures sur 24, pendant une semaine pour l’un, la même chose la semaine suivante pour l’autre et ainsi de suite.
Les enfants dormaient dans un dortoir à l’ancienne avec, au centre, le lit du surveillant surmonté d’un baldaquin d’où descendaient des rideaux censés préserver son intimité.
Le jeudi était jour de sortie. En rangs par quatre et en silence jusqu’au moment où il fallait entonner le chant rituel : ‘’Un kilomètre à pied, ça use, ça use, un kilomètre à pied ça use les souliers. Deux kilomètres à pied, ça use, ça use…etc.’’ Vous connaissez la suite.
Le dimanche n’était pas entièrement chômé, il fallait accompagner les enfants à la messe célébrée dans la chapelle interne à l’établissement et en observer le rituel, une corvée pour le mécréant que j’étais.
Certains congés scolaires permettaient aux élèves d’aller passer quelques jours dans leur famille. Les ‘’surveillants’’ n’étaient pas, pour autant, libérés de leurs tâches. Il fallait contrôler l’exécution des pensums infligés aux ’’collés’’ privés de sortie, toujours les mêmes, les plus durs.
Il fallait également essayer de distraire ceux que leurs parents avaient oubliés de venir chercher, souvent les mêmes aussi.
On pouvait lire le désarroi, la détresse dans le regard de ces pauvres gosses.
Une précision : Tout ce que je viens de vous raconter ne se passait au 19ème siècle mais dans la seconde moitié du vingtième.