J’ai une fidèle lectrice que vous ne connaissez pas. Elle est abonnée à ma newsletter, elle lit tous mes articles depuis l’origine de mon blog et même avant… mais elle ne les a jamais agrémentés d’un commentaire. C’est ma sœur.
Comme nous habitons le même village, nous nous voyons souvent. De vive voix, elle m’a reproché d’avoir accusé notre père (dans un article récent) de ne pas m’avoir aimé.
Elle est dans le vrai, il m’aimait mais ne pouvait pas me supporter. Une bonne raison à cela : j’étais carrément insupportable !
Je dois lui rendre justice mais qui était-il ?
Enfant, il n’aimait pas l’école; il l’a quittée à douze ou treize ans pour entrer en apprentissage.
Son C.A.P. en poche, il s’est fait embaucher, sans difficulté, par un bijoutier londonien. En Angleterre, on appréciait beaucoup le travail des ouvriers français.
Il avait seize ans, nous étions en 1914. Je n’ai pas besoin de vous rappeler l’événement de cette année là. Nous n’étions pas nés mais l’avons tous conservé en mémoire.
L’année suivante, il a voulu s’engager pour participer à ce conflit qui ne s’appelait pas encore la première guerre mondiale. On ignorait qu’il y en aurait une seconde et la présente était réputée ‘’la der des der’’.
Vu son jeune âge, il a subi de nombreux tests et une visite médicale approfondie à l’issue desquels on lui a annoncé que, d’une part, il était bon pour le service et que, d’autre part, on ne pouvait pas l’embaucher parce qu’il n’était pas de nationalité britannique !
Il rentra en France où son engagement fut beaucoup plus facile.
Envoyé sur le front, il réchappa à la tuerie du ‘’Chemin des Dames’’ en 1917 mais, gazé, il fut réformé en 1919 avec des poumons très atteints
De retour à la vie civile, il resta en France et, après un intermède comme vendeur de papiers peints, il reprit son métier et se mit à son compte comme fabricant bijoutier joaillier.
Il atteignit bientôt le sommet de son art. Il acquit une renommée internationale. Dans le monde entier, il était considéré comme le plus grand des ‘’baguistes’’ Il fabriquait surtout des bagues. Ses clients : les grands joailliers de la place Vendôme ou ceux de La Havane et de New-York…
Enfant, on idéalise ses parents, avec l’âge, on les remet à leur place mais l’admiration que j’avais pour mon père ne s’est jamais démentie. Il avait une culture étendue, une conversation raffinée. Tous ceux qui l’approchaient le considéraient comme un grand bonhomme.
Il aurait dû faire fortune mais ça ne l’intéressait pas. Il consacrait une ou deux heures le matin à guider le travail de ses ouvriers et passait tous ses après-midi à son club de bridge. Il n’engageait que des sommes dérisoires, c’était pour le plaisir du jeu.
Adulte, j’étais devenu beaucoup plus fréquentable et pendant les dix dernières années de la vie de mon père nous avons partagé une grande complicité.
Il m’a fallu de longues années pour me remettre de sa disparition.